mercredi 8 juillet 2009

THEATRE...










DEUX HOMMES ET UNE FEMME


( Ou :

« Un soir, un train

Dans le noir » )




ACTE 1

Scène 1

Personnages :
Le bibliothécaire, Pierre-Louis, Marjolaine et Ernesto.

Décors : une grande table, avec au moins trois chaises pour les trois lecteurs, en représentation de la salle de lecture de la bibliothèque nationale à Paris.
Comme il serait impossible d’exposer sur scène énormément de bouquins, la salle des « fonds précieux » est seulement annoncée par une étagère, à gauche du fond de la scène, et qui semble s’enfoncer en coulisses.


(Le bibliothécaire accueille Pierre-Louis, en lui tenant la porte, à droite de la scène)

Biblio : Soyez le bienvenu, Monsieur. Voici le catalogue de nos fonds précieux, que vous pouvez consulter jusqu’à l’heure de fermeture de notre établissement.

( Il indique l’étagère de « départ » et disparaît.
PL s’en va chercher trois ou quatre gros bouquins, s’installe à table et commence à prendre des notes)


(Après une petite minute, notre bibliothécaire réapparaît, avec une dame)

Biblio : Bienvenue, Madame. Voici le catalogue de nos fonds précieux, que vous pouvez consulter jusqu’à l’heure de fermeture de notre établissement.

(La dame va chercher quelques bouquins, s’installe à côté de PL et prend des notes à son tour)

(Après une petite minute, le biblio nous amène le troisième personnage)

Biblio : Soyez le bienvenu, Monsieur. Voici le catalogue de nos fonds précieux, que vous pouvez consulter jusqu’à l’heure de fermeture de notre établissement.

(Le biblio s’éclipse encore une fois, mais le nouvel arrivant dévisage la dame…)

Ernesto (ce dernier arrivé) :
- Mais…tu ne serais pas Marjolaine Dupont ?

Marjo :
-Ernesto !!! Au moins vingt ans qu’on s’était perdus de vue !!!

PL :
-Marjolaine, Ernesto, le temps de l’Athénée, je rêve !

Marjo et Ernesto :

-Et voilà Pierre-Louis !!!

( Ils s’embrassent).

Ernesto :

-Et qu’est-ce que vous devenez, tous les deux ?

Marjo :
-Après l’Athénée, j’ai fait criminologie. Et je suis commissaire à la fédérale.

PL :
- J’ai fait une licence en bio, et je travaille au ministère de la qualité de la vie. Et toi ?

Ernesto :
- J’ai fait comptabilité, et je travaille au ministère des finances.

Marjo et PL :

- Toi !!!

Ernesto :
- Ben oui,…il fallait bien traquer les prédateurs capitalistes d’une façon ou d’une autre !
Mais quel heureux hasard vous amène en cette vénérable bibliothèque parisienne ?


Marjo :
-Nous enquêtons sur un vieux texte de Jean Ray, le Uhu, écrit dans les derniers contes de Canterbury.

PL :
-Et la police s’intéresse à ça ? Et tu dois venir à Paris pour ça ?

Marjo :
-Le Uhu, c’était l’ Epouvante. Et nous avons pensé avec le suicide collectif qui vient de se produire aux falaises de Mon t’Aigle que l’Epouvante était de retour. Il faut analyser toutes ses racines…Et toi, que cherches-tu ici ?

PL :
- Pour mon ministère de la qualité de la vie, je suis chargé de découvrir ce que voulait dire Rimbaud quand il a écrit dans « Le bateau ivre » :

« J’ai vu ce que les hommes ont cru voir ».

Marjo :
-Mais quel rapport entre le bateau de Rimbaud et la qualité de la vie ?

PL :
-Il faut savoir ce qu’aurait vu Rimbaud. Et il faut savoir sur quel fleuve naviguait son bateau…Pour savoir si ce fleuve est resté écologiquement correct. La qualité de la vie impose de tout savoir !
Et toi, Ernesto ?

Ernesto :
- J’ai initié la mission de découvrir pourquoi le bateau du Horla de Maupassant battait pavillon brésilien. Tout simplement parce que le problème m’intéresse. Il faut connaître les origines de cette mystérieuse entité qui aurait pu ronger le monde….Et voir si ce pavillon brésilien n’était pas de complaisance.
Possible que ce ne soit que de la littérature. Mais possible aussi que Maupassant ait vraiment été témoin de quelque chose. Le délabrement de son état psychique pourrait venir du fait que ce qu’il avait vu était impossible à supporter. C’est peut-être l’Epouvante qui l’a rendu fou.

(Ernesto part chercher trois livres, s’assied à la table avec les deux autres)
(Petit silence. Tous les trois feuillettent et prennent des notes)


Marjo :
-Et votre vie de famille, les gars ?

PL :
-Marié, une fille, Coralie.

Ernesto :
-Marié aussi. A Charlotte, dont vous vous rappelez sûrement ! Et deux garçons : Athanase et Barnabé. Et toi ?

Marjo :
-Mariée aussi. Jacques, que vous ne connaissez pas, un gars du village d’à côté. Une fille et un garçon : Zoé et Arthus.




(PL s’en va changer ses livres et revient s’asseoir.
Ilsrestent studieusement assis tous les trois quelques minutes, puis le bibliothécaire revient)

Biblio :
-Messieurs-dame, nous allons fermer.
(Ils se lèvent lentement tous les trois, pendant que la lumière s’éteint)


SCENE 2

(Une bonne minute dans le noir, puis on les revoit assis à la même place que la veille devant les mêmes bouquins, après un effet « rhéostat »)


FP :
-Quelle soirée hier au resto !
Des moules et frites aussi bonnes que chez nous !

Ernesto :
-Et ce petit vin blanc…

Marjo :
-Mais arrêtez de parler mangeaille ! On est ici pour travailler !
La nuit porte conseil.
Avez-vous avancé dans vos enquêtes respectives ?

(Les deux hommes plongent le nez dans leurs bouquins)

Marjo :
-Quand je parle de boulot, je vois que seul le silence me répond !
Pour moi, les amis, c’est terminé.
Je crois, en mon âme et inconscience, que ce Uhu de Jean Ray est le même fantasme que le Horla de Maupassant, et que c’est cette vision d’Apocalypse que suggère Rimbaud.
Affaire classée.

Mais j’ai pensé à toi, Pierrot. Ta citation de Rimbaud contient en 24 lettres 12 voyelles, soit exactement la moitié. Et si on applique le code du sonnet des voyelles de ce cher Rimbaud, on trouve deux noires, deux rouges, deux bleues, trois blanches et trois vertes.
Pas de jaune dans le sonnet des voyelles. Donc pas de couleur de soleil…Pourtant le soleil est une étoile…Et il y a des étoiles blanches, bleues, rouges…qui deviennent des trous…noirs.
Mais pas d’étoiles vertes à ma connaissance.

(Les deux hommes la regardent, un peu surpris,
Petit silence, puis elle reprend)

Douze…la moitié de 24.
Douze, tout un symbole.
Voilà ce que j’ai trouvé sur le sujet :

(Elle lit un papier qu’elle sort de son sac ou de sa poche)
En mathématiques, douze est un nombre composé, ses diviseurs propres sont 1, 2, 3, 4 et 6. Douze est aussi un nombre hautement composé, et le suivant est 24.
Douze est le produit de 3 et 4, les quatre premiers entiers positifs affichés dans l'équation 12 = 3 × 4, qui peut être continuée avec l'équation 56 = 7 × 8.
Douze est un nombre pentagonal.
Le système duodécimal (1210 (12) = 1012), qui est l'usage de 12 comme facteur de division pour beaucoup de poids et mesures historiques, incluant des systèmes encore utilisés tels que les heures, est probablement originaire de Mésopotamie.
Une ancienne monnaie du Moyen Âge correspondant à douze deniers.
Il y a douze mois dans une année.
Midi correspond à la douzième heure, parfois noté 12:00pm.
Minuit est parfois noté 12:00am.
Le zodiaque occidental possède douze signes, comme le zodiaque chinois.
Les divinités olympiennes étaient au nombre de 12.
Le chiisme duodécimain reconnaît douze Imams.
Il y a normalement douze paires de côtes dans un corps humain.
La tradition juive et l'ancien testament de la Bible parle des douze tribus d'Israël. Le nouveau testament de la Bible décrit douze apôtres de Jésus-Christ…

Voilà de la matière, si l’on peut dire.
Mais pour moi, affaire classée !



PL :
-Affaire classée ?
Mais on ne te reconnaît plus, toi si combative.

Marjo :
-J’ai mes limites. Soit le Uhu n’existe pas, et le Horla non plus.
Soit Jean Ray, Maupassant, Rimbaud,…et d’autres aussi ont réellement vu quelque chose.
Mais s’il y a réellement quelque chose…je sens que c’est trop fort pour nous.
J’abandonne.



Ernesto :
- Révolutionnaire dans l’âme, je continuerai la lutte. Et je vous invite, vous que je suis si heureux d’avoir retrouvés, à m’accompagner dans les souterrains d’une histoire obscure que nous avons mission d’enfin éclairer.


(Réapparition du bibliothécaire, au devant de la scène)
Biblio :
-Révolutionnaire. Il s’appelle Ernesto. Comme Che Guevara.

(Le biblio reste en avant scène, et les trois autres se lèvent en disant :)

Marjo, Ernesto et PL :
-Un pour tous, tous pour un !
(Evidemment, Marjo dit Une pour tous, tous pour une !)

Biblio :
-Mais c’est les trois mousquetaires ? Ou le serment du Jeu de Paume ?
Ou seulement un peu de baume sur le cœur… ?


(PL, M et E se rassoient, le bib se décale sur la droite de la scène)

Ernesto :
-Nous allons tout simplement interroger Rimbaud, Jean Ray et Maupassant. Interviewer des morts !

Marjo :
-Mais qu’est-ce que tu racontes ?

Ernesto :
-Pas d’affolement, tu vas voir.
(Au biblio :)
-Camarade bibliothécaire. Un ordinateur branché sur le net, un !

(Le biblio file en coulisse, et revient avec un ordi portable, qu’il dépose devant Ernesto, puis se replace à droite de la scène)

Biblio :
-Ils ne savent pas que c’est impossible.
Donc, ils vont le faire.

(PL et M se mettent debout derrière E)

Ernesto :
-Vous voyez, j’ouvre internet explorer.
Et je tape dans la fenêtre de Google…

Biblio (en s’adressant au public) :
-Ou un autre moteur de recherche !
(en se tournant vers la table de travail) :
-Pas de publicité dans notre salle !

Ernesto (agacé par l’interruption) :
-…donc, je tape : « Spiritisme, exploration du passé ».
Et voici des tas de suggestions.

Marjo :
-Dis, je connais ! On utilise aussi des ordinateurs dans la police !

PL :
-Tandis que dans mon ministère, on utilise toujours des fiches et des stylos !
Un système qui ne tombe jamais en panne : quand un stylo est vide, on le remplace.

Ern :
-Mais tu dois vivre avec ton temps. Maintenant, on fait même la Révolution sur le net.
(Admirativement)
-Regarde… tous ces blogs politiques…

PL :
-Laisse tes blogs et ta politique. On a des enquêtes à finir. Et je me demande comment tu vas t’y prendre pour interroger des morts avec un ordinateur. D’accord, ça fait plus moderne que guéridon tournant. Mais j’ai des doutes…

Ern :
-Revenons à nos recherches.
Voilà qui me paraît intéressant :
Taverne « A la Vieille lanterne, rue Adolphe Adam ».

Marjo :
-Vieille lanterne ? On ne va quand même pas recommencer l’enquête sur la mort de Nerval aussi ! J’ai déjà essayé.
Un témoin l’a vu entrer rue de la Vieille lanterne côté rue Saint-Martin, avec deux hommes en longues capes brunes.
Un autre témoin digne de foi a vu ressortir les deux hommes côté Châtelet.
Je n’ai jamais pu trouver qui étaient ces deux hommes. D’ailleurs, depuis le temps, ils sont morts ! Affaire classée !

PL :
-Mais viens avec mous, Marjolaine. Si le truc d’Ernesto pouvait marcher, ce dont je doute fort, tu trouverais ce que tu cherches. Sinon, on adopte ta conclusion un peu lapidaire.
Cette histoire d’un ordinateur qui fixe rendez-vous pour faire tourner des tables m’amuse un peu.

Marjo :
-D’accord. Mais pas trop longtemps. Quoiqu’il arrive, je reprends le TGV de 19 H 47.

(Ils remercient le bibliothécaire pour son accueil, lui disent au revoir, et sortent par la coulisse droite)

Biblio (seul) :
-Ils ne savent pas ce qui les attend.


RIDEAU






ACTE 2

(La taverne.
La tenancière se tient derrière le comptoir, devant un décor un peu ésotérique : traditionnelle tête de mort, dragon, dieux égyptiens, sans oublier des signes un peu géométriques évoquant Templiers, Maçons,…

Elle est vêtue de noir, un peu du style Barbara. Mais si elle a les cheveux plus longs et pas tout à fait noirs, ce n’est pas grave.
Elle donne l’impression de consulter ce qui pourrait être un grimoire.

Devant son comptoir, une seule table, ronde, avec quatre chaises.

NB : elle parlera très lentement.

Le temps qu’elle ait tourné trois pages de son grimoire, qui peut être aussi un bottin de téléphone un peu relié, Marjo, Ern et PL entrent dans sa taverne)

Tenancière :
-Bienvenue dans cet Univers proche à la fois de Chartres et de la Pierre du Diable.
Je m’appelle Aurelia.

(M, E et PL disent leur prénom et s’installent autour de la table)

Ern :
-Une seule table ?

Aurelia :
-Vous êtes dans un Univers à n dimensions. Il y a autant de salles,…et d’Aurelia…que nécessaire pour accueillir les personnes qui veulent nous consulter. Les univers pluridimensionnels peuvent cohabiter en étant superposés. C’est un peu comme les univers chiffonnés de Jean-Pierre Luminet.

(Elle s’avance-lentement-jusqu’à leur table et poursuit )
-Voici notre carte. Elixir d’anxoka, eau lourde, sang de dragon,…Chaque consommation coûte 100 euros et donne droit à poser une question à une entité.
Avec une seule tournée, chacun de vous pourra poser sa question.

PL :
-Mais comment ça fonctionne votre truc ? Vous allez quand même pas me dire, à moi, fonctionnaire assermenté, que vous arrivez à convoquer des fantômes ?

Aur :
-Nous avons évolué, cher Ami. Je ne sais pas si les fantômes existent en tant que tels. Mais les atomes et électrons qui ont composé chaque personne décédée continuent de subsister. Notre travail, électrons, électronique, informatique,…a constitué à pouvoir appeler, grâce à un programme qui fut bien difficile à mettre au point, la plupart des électrons qui ont vécu dans la personne que l’on veut interroger. Notre programme, qui est aussi de l’informatique vocale, permet donc de poser une question à un ensemble d’électrons qui ont gardé un message, une vision, une mémoire…Nos ectoplasmes, pour utiliser le vocable courant, sont simplement la réunion très momentanée des atomes qui ont vécu jadis dans un même corps déterminé.

(Les trois consommateurs échangent des regards éberlués…)

Marjo :
-On va tenter l’expérience !
Qu’est-ce qu’on prend ?
(A Aurelia)
-Mais élixir d’anxoka, sang de dragon,…c’est quoi, tout ça ?

Aur :
-Ce sont des coktails d’ambiance. Mais vous pouvez prendre aussi une pinte, une limonade, un café,…comme beaucoup de personnes ayant ici transité.

Marjo :
-Je vais prendre une pinte.

PL :
-Idem

Ern :
-Un mazout.

(Elle les sert, lentement, puis installe un petit ordinateur portable devant la quatrième chaise, vide.
Les trois consommateurs lui tendent un billet de 100 euros, qu’elle empoche négligemment.
Elle va se servir un verre et vient s’asseoir, sans façons, à leur table)

Aur :
-Je vous accompagne. Et vous fais une démonstration.

(Ils trinquent. Elle tapote sur son ordi)

Aur :
-Je vous ai appelé Achille Chavée.

(On entend des bruits de pas très lourds et assez lents, qui se rapprochent depuis la coulisse gauche.
Une forme, très grande, apparaît.
L’acteur mettra éventuellement des talonnettes, voire des échasses ?, et sera tout habillé de noir, avec grande cape et chapeau, style de la silhouette du chevalier du porto Sandeman. Il devra toujours tourner le dos au public, pour qu’on ne voie pas de visage. Sa voix devra aussi être un peu « métallique », avec des phrases qui se prononcent difficilement, par saccades.

Lentement surgi de sa coulisse, le géant noir s’approche de la table)

Le fantôme :
-Pour vous…une réplique…de cette alliance…en marbre noir…qu’on accorda…au poète…que je fus…

(Il dépose un objet sur la table, recule de trois petits pas vers sa coulisse, et, avant de disparaître)

Fantôme :
-Je vous salue…Mesdames…Messieurs,
On ne crucifie…pas…les Ombres…

(Repart en coulisses)

(A table, M, E et PL sont éberlués.
Après quelques secondes, Aurelia va rompre un silence qui devient angoissant)

Aur :
-Ce talisman qu’il vous a laissé (Elle le prend sur la table et le donne à PL, qui le met dans sa poche) est une reconstitution électronique qui sera durable. Et qui vous servira pour votre long voyage…
(Petit silence de nouveau)

Aur :
-Qui veut commencer ?
(De nouveau, petit silence…qui finirait par devenir grand)

Aur :
-Honneur aux dames. Marjolaine !

Marjo : (voix tremblante)
-Je voudrais poser une question à Jean Ray.

(Aurelia tapote son ordi, même truc que pour Achille Chavée…bruit depuis la coulisse…et notre fantôme réapparaît)

Marjo :
-Monsieur Jean Ray, je voudrais savoir, si c’est possible, ce qu’était le Uhu.

Fantôme :
(toujours avec sa voix caverneuse ou métallique, et toujours avec un débit haché, comme illustré par les points de suspension dans son apparition précédente)

Fantôme :
-Quelque chose d’immense a bouché tout l’horizon.
C’était peut-être un programme scientifique de création d’orages et de cyclones, comme on dit que vous en expérimentez actuellement avec des projets comme HAARP.
C’était peut-être aussi une invasion d’OVNIS, le retour de nos ancêtres extraterrestres dont l’escadrille avait su prendre la forme d’un visage inhumain. Pour mieux nous terrifier.
C’est la seule fois dans ma vie où j’ai eu vraiment peur.
Et où j’ai cru comprendre ces vers de Baudelaire :
« Et que de l’horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits… »

(Le fantôme disparaît, les lumières se tamisent un peu pendant qu’on entend, l’enregistrement d’un extrait –une bonne minute ou deux- du Uhu
Extrait : voir une suggestion dans « Compléments », en fin de texte))






PL :
-Remets une tournée, Aurelia. Et compte la peut-être moins cher…parce que je crois que nous allons nous contenter de seulement deux « apparitions » encore.

Aurelia :
-Cela ne te coûtera cette fois que dix euros, cher Pierre-Louis.

(Elle va chercher quatre consommations, sert, encaisse-en poche- et se rassied avec eux)

PL :
-Et si tu voulais m’appeler Rimbaud ?

(Apparition du fantôme, suivant le rituel bien connu)

-PL :
-M. Rimbaud, je voudrais savoir si vous avez vraiment vu ce que l’homme n’a que cru voir ? Et si oui, quoi ?

Fantôme :
-J’ai vu (long silence)

…ce qu’il y a…derrière…le voile d’Isis.
(Quand il prononce, très fort, d’ailleurs, « voile d’Isis », les lumières de la scène s’éteignent en même temps qu’on entend un genre de coup d’orage, ou simplement le bruit d’un bon court circuit, et le rideau retombe brutalement devant la scène…Un truc qui devrait faire penser à cette citation du Nouveau Testament : « Et le voile du Temple se déchira… »
Quelques secondes dans un noir absolu…puis le rideau se rouvre doucement, et la lumière –penser à de beaux effets de rhéostat, revient tout aussi doucement sur les quatre personnages attablés, qui écoutent en silence un extrait du Bateau Ivre
Cet extrait : voir ci-dessous. On peut évidemment faire plus long !)

Aurelia (qui cherche sans doute à détendre l’atmosphère) :
-Avec des électrons, évidemment chargés d’électricité, il est normal que la séance soit parfois orageuse. Veuillez m’en excuser.

Ern :
-T’inquiète pas, chère Amie . Appelle-moi donc Maupassant. J’ai un œuf à peler avec son Horla !

(Retour, selon le rituel habituel, de notre fantôme)

Ern :
-Camarade Maupassant, peux-tu nous expliquer ce que ton Horla trafiquait au Brésil avant de venir sévir chez nous ?

Fantôme :
-Le Horla est une entité extraterrestre dont les ancêtres ont atterri en Amazonie, parce que c’est une des portes d’entrées les moins dangereuses dans notre magnétosphère puis notre atmosphère.
Mais c’était un extraterrestre de la toute première génération. Du temps où l’Afrique et l’Amérique du Sud étaient collées.
Il est venu par hasard en Europe, où il s’est énervé parce qu’en réalité il voulait embarquer pour l’Afrique, afin de voir si c’est de ses ancêtres que les Dogons avaient hérité leurs connaissances. Et de savoir grâce à eux s’il lui restait de trop lointains cousins sur une planète autour de l’étoile Sirius B…

(Le fantôme nous quitte définitivement. Les lumières de la scène s’éteignent brièvement et se rallument doucement pendant qu’on entend un extrait terrifiant du Horla
Extrait : suggestion ci-dessous )

Aur :
- J’espère que notre établissement a pu répondre à l’essentiel de vos questions.
Je vais me permettre un petit conseil : « méfiez vous des TGV et préférez les diligences ».
(Petit silence)
Mais ne me posez pas de question sur ce petit conseil.
(Ils se lèvent tous les quatre)

Aur :
-Je suis heureuse d’avoir fait votre connaissance, et je souhaite que vos enquêtes se déroulent sans périls.

(Ils l’embrassent tous les trois, et sortent)

RIDEAU,

Mais on doit entendre dans le noir :

Marjo :
-Pourquoi cette inquiétude quant au TGV ?

Ern :
Bah ! Elle est prise par l’ambiance…Je prends notre TGV de 19 H 47

PL :
Moi aussi. On a un rapport à finir.

Marjo :
Je vous accompagne.















ACTE 3

(Nos acteurs sont installés dans ce qui doit ressembler à un wagon de TGV !
Suggestion : un truc découpé en triplex très léger, où on verrait uniquement leurs têtes, par une fenêtre)

Ern :
-Et avec ça, qu’est-ce qu’on fait ?
J’imaginais un complot capitaliste…

Marjo :
-J’imaginais une secte, une société secrète qui serait toujours en activité aujourd’hui…


PL :
-Je voyais un coin encore inexploré de notre planète que l’on dit encore bleue…

Ern :
Et nous avons des extraterrestres ou des savants fous, ou les deux, et une déesse égyptienne !
Qu’allons-nous tirer de tout ça ?
Affaire classée, Marjolaine ?


Marjo :
-C’est bien ce que je disais avant notre visite à la taverne…


PL :
-Mais nous avons l’anneau de Chavée !
(Il le ressort de sa poche, semble seulement le découvrir).
-Et il tient à un fil.
On dirait un pendule…

(On doit avoir -bruitages- l’impression que le train démarre)

PL :
-Et il s’agite.
Il pourrait nous indiquer des choses…

Marjo :
-Affaires classées. Officiellement et pour le moment. Mais on peut continuer les enquêtes à nous trois. Avec ce pendule en marbre noir…

Ern :
-Et nous allons actionner ce pendule, à la recherche de nos ancêtres cosmiques, après le tunnel qui est annoncé dans dix secondes.

(On entend une voix impersonnelle, d’hôtesse de l’air comme on dit parfois, qui compte dix, neuf, huit,…
Pendant ces dix secondes, le train doit donner l’impression de s’éloigner pendant que la lumière décroît…
Suggestion : le « train » était en simple triplex, et nos trois acteurs le « transportent –système de poignées…-jusqu’en coulisses, les coulisses figurant le tunnel.

Le train a donc disparu. Il fait presque noir…pendant des secondes qui doivent paraître longues, sur la scène.

Retour en avant scène, qui s’éclaire légèrement, du bibliothécaire et d’Aurelia.)

Biblio :
-Ils poursuivent toujours leur enquête.
Mais on ne les a jamais revus !

Aur :
-Pourquoi donc n’arrivent-ils pas au bout de ce tunnel ?

Biblio :
-Parce qu’il n’y a pas de tunnel sur le tracé TGV Paris-Bruxelles.

Aur :
-Tu es le seul à ne pas avoir décliné ton identité.

Biblio :
-Je m’appelle Sidoine Apollonius.

Aur (visiblement fâchée et inquiète…)
-On ne sortira jamais de ton auberge…

(Elle quitte la scène, par la gauche, le biblio s’en va par la droite .Pendant qu’ils disparaissent et que le rideau se ferme lentement, on entend un bel extrait, ou l’ensemble, de la chanson « Marjolaine », de F. Lamarque)






FIN








Suggestions
pour les passages à ajouter dans le noir, après le passage des fantômes de J. Ray, Maupassant et Rimbaud .


Jean Ray

« J’ai osé regarder. Oh Dieu ! J’espère que ce n’est pas vrai, car ce fut plus bref, plus rapide qu’un œil qui se ferme. Je veux croire que ce fut un nuage, une fumée un brouillard, un dernier lambeau de ténèbres. Là-bas s’enfonçait dans l’horizon qu’il occupait tout entier, un masque formidable… Deux yeux fixes regardaient au ras de la lande.
Non, non, ce furent deux énormes trouées glauques sur l’est, dans l’ombre de la nuit disparaissante… Ce fut cela et rien d’autre.
Ils se laissèrent rouler au bas de la colline, hurlant d’épouvante, se plongeant la face dans la sable pour ne pas voir la gigantesque et monstrueuse forme qui s’élevait au-dessus des décombres, noire comme l’Erèbe, croissant avec une vélocité effroyable et dont le front voilait le disque flamboyant du soleil de quatre heures »

Maupassant


Je suis perdu !. Quelqu'un possède mon âme et la gouverne ! quelqu'un ordonne tous mes actes, tous mes mouvements, toutes mes pensées. Je ne suis plus rien en moi, rien qu'un spectateur esclave et terrifié de toutes les choses que j'accomplis. Je désire sortir. Je ne peux pas. Il ne veut pas ; et je reste, éperdu, tremblant, dans le fauteuil où il me tient assis. Je désire seulement me lever, me soulever, afin de me croire encore maître de moi. Je ne peux pas !. Je suis rivé à mon siège ; et mon siège adhère au sol, de telle sorte qu'aucune force ne nous soulèverait.
Puis, tout d'un coup, il faut, il faut, il faut que j'aille au fond de mon jardin cueillir des fraises et les manger.
Et j'y vais. Je cueille des fraises et je les mange ! Oh ! mon Dieu ! Mon Dieu ! Mon Dieu ! Est-il un Dieu ? S'il en est un, délivrez-moi, sauvez-moi ! secourez-moi ! Pardon ! Pitié ! Grâce ! Sauvez-moi ! Oh ! quelle souffrance ! quelle torture ! quelle horreur !

Rimbaud

Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
L'Aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir !

J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques,
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très antiques
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !

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